« Pour moi, le créatif vient à partir d’une accumulation d’expériences, de sensations, de la main, de l’œil, et des pensées. »

L’atelier de Caroline Besse est à son image : sérénité, générosité et créativité. Une grande baie vitrée baigne l’atelier de lumière qui illumine des œuvres sur papier Washi suspendues à des fils qui traversent la pièce. En séchant, le papier roule légèrement et prend vie. Des fioles remplies de poudre de couleurs intenses sont précieusement rangées, des pinceaux attendent de collecter les précieux minéraux, une théière et des bocaux de thé siègent sur une étagère. L’ambiance est décidément paisible chez Caroline.

Peintre décorateur depuis 1996, l’artiste a créé sa propre matière en mariant des procédés occidentaux à des techniques orientales, s’exprimant sur papier Washi japonais avec les couleurs des minéraux broyés. Lorsque la lumière rebondit sur ce papier, les singulières couleurs de ces poudres minérales s’animent. L’artiste propose un art hybride entre la pièce de galerie et le sur-mesure, des pièces uniques pensées pour un espace donné, entièrement peintes à la main. Son portfolio comporte des projets pour Van Cleef & Arpels à Paris, Rimowa à Hong Kong, l’Ambassade de France à Bangi en Centrafrique, ainsi que des architectes intérieurs ou clients particuliers.  Elle réalise pour eux des projets uniques, enveloppant les espaces de la poésie des couleurs minérales. En 2022, elle est lauréate du Grand Prix de la Création de la Ville de Paris. Le conscient, le subconscient, le corps et l’esprit ; tous ces éléments participent à la création d’une œuvre Caroline Besse, donnant lieu à des tableaux viscéraux et holistiques. Tout compte fait, c’est la couleur qui anime –ou plutôt gouverne– la vie et les œuvres de Caroline Besse. Pour elle, la couleur est à la fois ritualisée et spirituelle : produisant une sensation qui est entièrement individuelle et, en même temps, universelle. Chaque couche de couleur a sa propre identité et son propre impact.

J’ai rencontré Caroline dans son atelier à Paris pour discuter démarche artistique, tournants inattendus de la vie, et céleri au gingembre.

Salon de la maison Van Cleef & Arpels, place Vendôme. Malachite, calcite et grenat.

Caroline, peux-tu te présenter et nous parler un peu de ton parcours ?

J’ai grandi à Angoulême, la ville de l’image. J’ai été plongée dans l’univers de la bande dessinée toute petite, donc j’avais un rapport avec l’image qui était prégnant dès le début. Je n’étais pas poussée à me diriger vers les arts par ma famille donc j’ai fait une année de médecine parce que le soin m’intéressait beaucoup. Sur mon temps libre, pourtant, je continuais à peindre. Quand j’ai déménagé à Bordeaux j’ai décidé d’approfondir ce qui m’animait, et je me suis rendu compte que le métier de peintre décorateur était à la jonction de ce que j’aimais : l’architecture, la déco intérieure, la peinture. Maintenant je fais de l’abstrait, mais à l’époque j’étais très forte en trompe l’œil. A Bordeaux, j’ai beaucoup travaillé pour des maisons de vins, des châteaux, et des particuliers. Des bouteilles de vin, des perspectives de vignes et des grappes de raisin en trompe l’œil, j’en ai fait quelques années !

Comment a commencé ton histoire d’amour avec la couleur ?

Pendant toute mon enfance, je ne peignais qu’en noir et blanc. Je copiais des estampes japonaises et je cherchais des livres pour faire de la peinture à l’encre, mais j’avais abandonné parce que je n’avais pas trouvé de professeur.

« Et tout à coup, la couleur s’est ouverte à mes vingt ans. »

On m’avait offert une boîte de pastels avec cent couleurs différentes pour mes quinze ans, un vrai trésor que je n’avais pas encore touché. Lorsque j’ai emménagé dans ma propre habitation, mon chez-moi, je me suis lancée et je me suis vraiment fait plaisir. Au pastel sec, le contact avec la couleur est direct, sans pinceau, et j’ai commencé à travailler les transparences et la lumière dès cette époque.  

D’où vient cette spiritualité qui semble guider ta pratique ?

A la naissance de ma fille, j’ai rencontré les enseignements de la médecine traditionnelle chinoise. J’avais besoin de réponses à tout un questionnement intérieur et des pistes de réflexion pour accompagner la croissance d’un enfant. Je me suis investie là-dedans pendant dix ans. J’étais émerveillée par les mondes qu’ouvraient la pratique corporelle et la méditation. J’ai pratiqué la calligraphie monastique, la peinture à l’encre et la peinture sacrée bouddhiste Chan et donc étudié la symbolique des couleurs et la géométrie sacrée. C’est à cette époque que j’ai commencé à travailler avec les minéraux broyés, que j’ai découvert leur intensité, la force de ces couleurs naturelles.

« La puissance de la couleur a été une révélation. »

Les enseignements asiatiques ont été un point de départ de cette recherche personnelle sur la couleur que j’ai ensuite enrichie avec l’approche occidentale de Goethe et de Rudolf Steiner qui observe les rapports de l’être humain avec chaque couleur.

Quelles sont les étapes dans la création d’une œuvre Caroline Besse ?

L’idée est de faire émerger, d’associer à une couleur la sensation intérieure précise de la conscience qu’elle véhicule. Je prends mes pierres, et j’observe quelles sensations corporelles émergent en fonction des combinaisons de minéraux broyés. L’utilisation des minéraux broyés comme pigments est historique, et permet donc à mes tableaux de contenir différentes strates informatives. Les couleurs sont ancrées dans l’histoire de la peinture et liées à la terre elle-même. Dans mes pigments, il y a une véritable connexion à la nature. Je travaille à grande échelle, ce qui renforce cette relation avec l’espace. Tout d’abord, je gradue un fond d’encre de Chine sur toute la page de papier japonais, pour poser une ossature, une vibration sur le papier. Ensuite, je superpose mes couches de minéraux broyés. Puisque tous mes pigments sont naturels, j’évite la nocivité d’une peinture chimique ce qui est bénéfique et pour l’artiste, et pour l’environnement. Cette technique traditionnelle me permet surtout de maîtriser la création des nuances. Il en résulte un effet qui réagit très intimement avec la lumière, qui se reflète sur chaque grain de poudre afin de créer une profondeur. Dans mes œuvres, je superpose jusqu’à dix couches de couleur. Je ne note pas l’ordre des pigments, car avec un processus structuré ou théorisé, je perdrais le trait interne et le regard intuitif. Finalement, quand je veux éclairer, je monte la couleur vers une intensité par des dégradés et des rythmes précis. Avec ces superpositions de minéraux,

« …je construis des chemins vers la conscience attachée à chaque couleur. »

Quel impact ta carrière en tant que peintre décorateur a eu sur tes œuvres ?

Comme peintre décorateur, ce n’était pas la décoration en soi qui m’intéressait, mais plutôt la réaction humaine à la couleur. Quand on est dans un espace coloré, on est modifié par la vibration de cette couleur.

« Ce qui m’intéresse c’est le spectateur, et tout ce qui se passe en lui en interaction avec la couleur. »

Mon art utilise aussi un principe de la peinture chinoise qu’est la perspective inversée où le regard ne va pas au loin, mais où les choses viennent à nous. Je travaille à la fois sur le geste et le rayonnement des pierres pour que le corps reçoive directement l’information véhiculée par la couleur. Pour moi, le grand format, la peinture à l’échelle du mur, crée une immersion, un enveloppement qui facilite la rencontre du spectateur avec sa propre sensation. Aujourd’hui, les gens ne prennent plus le temps de contempler, entrer dans un petit tableau. On est obligé de faire des films en XXL en arts immersifs pour que notre public ressente quelque chose. Avant, un petit tableau pouvait nous emporter très loin, parce qu’il n’y avait pas autant d’images qu’aujourd’hui.

Qu’apporte tes œuvres à un spectateur, ou à un endroit ?

Les maisons sont faites pour quelqu’un, et donc ce qui m’importe c’est l’humain ; ce qu’une œuvre apportera à quelqu’un qui traverse cet espace. Quand je travaille directement avec des clients, la rencontre est presque magique. Quand on parle, quand on se montre des choses, il se passe quelque chose au-delà des mots, et donc quand je commence à travailler sur un projet, tout me vient naturellement. La couleur permet aux gens de se recentrer. Mon travail consiste donc à reconnecter des subtilités très doucement. Entre le travail du souffle, de la couleur, des vibrations, c’est un processus qui est du domaine de l’indicible.

Montée d’escalier, 27 panneaux, Paris 7eme. Oeil de tigre, jaspe et grenat doré.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui décore sa maison ?

 Du point de vue de la couleur, c’est complexe car individuel et subjectif, ça dépend aussi de la façon dont on entre en interaction avec l’espace. Pour certains, le foyer c’est un lieu de réception, et pour d’autres c’est un véritable endroit de recueillement. C’est pour cela qu’il est important d’identifier les couleurs qui nous font du bien. C’est très simple, finalement, et en même temps très subtil.

« Il faudrait prendre le temps d’apprendre à ressentir les couleurs, à les connaître intimement. »

 

Parlons un peu de tes goûts. Quel est ton peintre préféré ?

Odilon Redon. Sa peinture est très mystique, et le travail de la couleur est incroyable.

Et ta musique préférée ?

 Je cherche le rythme qui va avec ce que je suis en train de faire. C’est très changeant. Pour travailler, j’ai besoin de calme. Ma fille m’a fait découvrir de nouveaux genres musicaux et maintenant je reviens un peu au classique.

Et pour conclure, ton mets préféré ?

C’est toujours lié à la saison. En ce moment c’est le céleri au gingembre. Je le coupe en tranche et je le fais revenir dans du ghee, du beurre clarifié indien que je fais moi-même.

Caroline Besse vit et travaille actuellement à Paris et dans le Vercors. Vous pourrez découvrir son travail sur son site www.carolinebesse.com

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